LA RÉHABILITATION DES SOLS EN VUE DE RÉALISER LES AGENDAS 2063 + 2030 EN AFRIQUE :
RELIER LES AMBITIONS INTERNATIONALES AUX BESOINS LOCAUX


Conclusions de la présidence par Wanjira Mathai, Directrice des partenariats pour les entrepreneuses en énergies renouvelables (Partnerships for Women’s Entrepreneurship in Renewables (wPOWER), du Wangari Maathai Institute (WMI) et Alexander Müller, PDR de TMG. Think Tank pour le développement durable et Directeur d’études du projet TEEB AgriFood.

 

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L’année 2015 a marqué l’adoption de programmes historiques pour l’Afrique, au niveau du continent comme au niveau mondial. Au niveau du continent, les pays africains ont adopté l’Agenda 2063, le cadre stratégique de transformation de l’Afrique sur les 50 prochaines années, et son plan de mise en œuvre de court terme pour les 10 premières années. Au niveau mondial, l’Assemblée générale de l’ONU a quant à elle adopté le Programme pour le développement durable à l’horizon 2030 et les objectifs de développement durable (ODD). Ces deux cadres stratégiques visent à transformer la voie de développement actuelle pour assurer la croissance inclusive, le développement durable et la paix et la sécurité sur le continent africain. Ils reposent sur les principes des droits de l’homme et préconisent la bonne gouvernance, des sociétés à caractère inclusif, et l’accès à la justice. Il y a tout juste un mois, l’ONU a célébré en octobre la Semaine de l’Afrique 2016, mettant en lumière l’importance d’une approche cohérente et intégrée dans le cadre de la mise en œuvre, du suivi et de l’évaluation de l’Agenda 2063 et des objectifs de développement durable (ODD). A Marrakech, la COP 22 de la CCNUCC a insufflé un élan supplémentaire à la mise en œuvre des contributions prévues déterminées au niveau national.

Nous sommes aujourd’hui réunis à un moment décisif, ayant répondu à l’invitation des délégués africains de la Global Soil Week (Semaine mondial des sols) de 2015. L’Afrique a le pouvoir de faire réussir ou échouer des Agendas 2063 et 2030. L’expérience tirée des objectifs du millénaire pour le développement a exposé les vastes différences existant dans le niveau de progrès du continent. Le continent connait certains défis importants en termes de pauvreté, d’insécurité énergétique et alimentaire et de dégradation de l’environnement. Les épisodes de sécheresse se font de plus en plus fréquents et intenses. La sécheresse liée à El Niño a cette année affecté la sécurité alimentaire de plus de 30 millions de personnes. Dans le même temps, l’Afrique a l’extraordinaire potentiel de transformer son avenir et d’éradiquer la faim et l’insécurité alimentaire. Les coprésidents prennent note du leadership affiché par les pays africains ayant déjà présenté leur rapport sur l’évolution des progrès au forum politique de haut niveau, et convient les autres pays à en faire de même. Lors de la Global Soil Week de 2015, les intervenants africains ont demandé à ce que soit organisé un événement régional en Afrique. Les 200 participants du présent Congrès reflètent l’intérêt que suscite une telle plate-forme, et sa nécessité. Les coprésidents remercient les gouvernements du Bénin, du Burkina Faso, d’Éthiopie et du Kenya, ainsi que le NEPAD, pour l’organisation de ce Congrès. La participation active des délégations d’autres pays africains et de l’Inde est un signe prometteur pour tirer les enseignements des relations Sud-Sud dans l’esprit du Programme de développement à l’horizon 2030. Les coprésidents félicitent également les co-hôtes pour le rôle proactif et le leadership dont ils font preuve dans la promotion de la réhabilitation des sols en faveur de la sécurité alimentaire.

Le succès de ces programmes passera impérativement par la réhabilitation des sols. Les sols et la terre sont directement ou indirectement concernés par sept des 17 ODD. Pour concrétiser ces liens, les programmes de réhabilitation du sol doivent être conçus et mis en œuvre en tenant compte du nœud alimentation/eau/sécurité énergétique. Une réhabilitation des sols répondant aux besoins des groupes marginalisés et vulnérables et favorisant le maintien des services écosystémiques sera indispensable pour réaliser les Agenda 2063 et 2030, et pour l’application de l’accord de Paris sur le climat. À condition d’être adéquatement conçus et mis en œuvre, ils sont à même de faire en sorte que « Personne ne soit laissé de côté » dans la réalité.

Les investissements dans l’agriculture classique sont peu susceptibles d’aboutir aux changements et transformations convenus par les états membres. L’agriculture classique a peu de chances de fournir les réponses nécessaires pour maintenir la santé du sol et réaliser les objectifs de développement en présence d’un climat évolutif. Nous devrions en revanche nous demander quelles sont les approches adéquates et susceptibles de répondre aux enjeux présentés par le lien alimentation/eau/sécurité énergétique.

En nous inspirant des discussions du Congrès, nous tirons les conclusions suivantes, lesquelles sont d’une importance cruciale pour un développement inclusif et durable en Afrique :

  1. Les programmes de restauration du sol et des paysages doivent atteindre les groupes de populations les plus vulnérables, notamment les femmes et les jeunes. Les femmes représentent jusqu’à 50 % de la main-d’œuvre agricole dans certaines régions d’Afrique, et plus de 60 % dans certains pays. Les programmes doivent tenir compte du fait que les femmes assument déjà la majeure partie de la charge de travail agricole. L’application des technologies doit être faite de manière à renforcer la capacité des femmes à faire entendre leur voix. Environ 200 millions d’Africains sont âgés entre 15 et 24 ans, ce qui fait de l’Afrique le continent abritant la plus jeune population du monde. Les programmes de réhabilitation des sols doivent répondre à leurs besoins et leur offrir un avenir en zones rurales, notamment au moyen d’emplois. Nous avons mené des discussions avec des jeunes engagés pour tenter de découvrir les raisons du manque d’intérêt des jeunes dans le travail agricole. Nous avons appris que les tendances observées en Afrique subsaharienne, celle-ci affichant une croissance et une urbanisation importante de la jeunesse, sont affectées par la perception que travailler dans l’agriculture constitue, en quelque sorte, un châtiment. Toutefois, l’agriculture va bien au-delà de la production. En prenant toute la chaîne de valeur, les jeunes peuvent se voir offrir différents types de possibilités potentiellement plus attrayantes. Il est important d’exploiter cette “nouvelle agriculture jeune” et de soutenir la jeunesse dans son engagement dans ce domaine. Nous avons entendu des exemples d’initiatives motivantes et couronnées de succès menées par des jeunes du Kenya, de Tanzanie, d’Afrique du Sud et du Nigéria. La mise en place de programmes de réhabilitation des sols adaptés à ces besoins favorisera leur développement. Les initiatives de restauration des sols doivent répondre aux différents facteurs informant les décisions de gestion des terres prises par les agriculteurs afin de créer les conditions leur permettant d’appliquer les pratiques de GDT. Cela passe par l’amélioration des droits fonciers, l’accès au capital et aux intrants, l’accès à des services de vulgarisation inclusifs, habilités et favorisant l’autonomie, ainsi que la prise en compte des facteurs plus larges tels que l’accès à la sécurité sociale et aux services de santé. Les besoins de conception de politiques de sécurité alimentaire ciblant la participation des jeunes exigent de dépasser les processus ordinaires. Des politiques spécifiques aux jeunes sont nécessaires. Les jeunes ont tendance à s’engager dans la conception de politiques en utilisant les réseaux, l’activisme, les campagnes, les initiatives de jeunes et la mobilité par Internet. Tout cadre stratégique orienté sur la jeunesse doit envisager des incitatifs aptes à engager la jeunesse du public dans ces formats inédits et souples.
  2. Les changements climatiques accroissent la nécessité de mesures de réhabilitation du sol. Les changements climatiques intensifient les enjeux de développement existants et posent de nouveaux risques au développement durable. Il existe des technologies de gestion des terres permettant de répondre au triple défi que présentent la sécurité alimentaire, l’adaptation aux changements climatiques et leur atténuation. Il est toutefois essentiel de comprendre qu’il n’y a pas de solution miracle. Des concessions sont inévitables parmi ces objectifs. Ce qui est décisif, c’est le processus de développement et d’identification d’ensembles technologiques répondant à des conditions agro-écologiques particulières. Ce processus doit être mené par les utilisateurs des terres et donner de l’influence aux agriculteurs, aux femmes et aux jeunes en particulier, et ce à toutes les étapes.
  3. En l’absence de sécurité foncière ou de droits fonciers, en particulier en faveur des populations vulnérables et marginalisées, les programmes de réhabilitation des sols ne pourront pas contribuer à « ne laisser personne de côté ». Sur le terrain, les régimes fonciers ont généralement pour effet de dissuader les investissements en réhabilitation des sols, ou de finir par priver les bénéficiaires prévus de leurs terres. Une gouvernance foncière responsable est indispensable pour pouvoir répondre à ces menaces. La gouvernance foncière et la gestion durable des terres doivent aller de pair. L’utilisation et la diffusion des technologies de GDT doivent s’accompagner de la sécurisation des droits fonciers. Malgré la présence de cadre de travaux juridiques robustes, l’application et la mise en œuvre sont souvent les principaux problèmes rencontrés. La diffusion, synthèse et traduction des textes juridiques pour les rendre accessibles et facilement compréhensibles pour les populations locales et rurales constituent un moyen important pour démarrer ce processus. Au-delà de la dimension nationale, le partage d’expériences à l’intérieur des régions et d’un pays à l’autre peut constituer une autre stratégie efficace pour accélérer ce processus au niveau régional et sous-régional. Les ODD, notamment l’ODD 1 sur l’éradication de la pauvreté et l’ODD 2 sur celle de la faim peuvent être réalisés en Afrique, à condition de trouver le bon équilibre entre le droit moderne et le droit coutumier. Il est notamment important que ce dernier puisse être adapté de manière à améliorer et renforcer les régimes fonciers actuels. A l’heure du rétrécissement de l’espace démocratique dans de nombreux endroits, la mise en œuvre et le suivi d’instruments volontaires tels que les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres (VGGT) nécessite la mise en place d’alliances stratégiques entre une grande variété d’intervenants pour garantir que les principes des droits de l’homme sur lesquels elles se basent soient véritablement reconnus. Il convient de renforcer le rôle des organisations et des groupes de sociétés civiles de défense des droits de l’homme dans les processus de mise en œuvre et de suivi des VGGT et des Agendas 2063 et 2030. Les processus à intervenants multiples menés par ces organisations peuvent également aider à développer la coopération interministérielle nécessaire pour garantir l’alignement et la cohérence entre les programmes de réhabilitation des sols et les stratégies de développement agricole et de gouvernance des terres responsables.
  4. Les instruments financiers, notamment les financements mixtes, doivent être conçus pour pouvoir atteindre les populations vivant dans l’insécurité alimentaire, leur apporter des bénéfices, et récompenser les investissements des agriculteurs dans la réhabilitation des sols. Le programme d’action d’Addis-Abeba prévoit la mixité des sources de financement publiques et privées pour atteindre les buts et objectifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Nous devons être conscients que les différentes sources de financement serviront différents objectifs de restauration du sol. Le financement privé de la restauration de paysages de grande échelle doit encore prouver qu’il parviendra à réaliser les objectifs de développement social et écologique. Les investissements doivent répondre aux besoins des populations vulnérables et marginalisées. Le suivi est indispensable pour garantir que ces investissements répondent aux exigences des programmes de restauration du sol visant à améliorer la sécurité alimentaire et à atténuer la pauvreté. Des méthodologies adéquates doivent être développées à ces fins. La conception des programmes d’investissements pour la réhabilitation des sols doit par conséquent être liée aux processus de contrôle, de suivi et d’évaluation des Agendas 2030 et 2063.
  5. Des mécanismes de contrôle, de suivi et d’évaluation inclusifs sont indispensables pour réaliser les Agendas 2030 et 2063. Les Agendas 2030 et 2063 abordent le développement durable relativement à ses trois dimensions, soit sa dimension économique, sa dimension écologique et sa dimension sociale. La mise en œuvre de ces programmes complexes caractérisés par des liens réciproques et des concessions possibles entre leurs objectifs et leurs cibles exige la mise en place de mécanismes de contrôle, de suivi et d’évaluation. Ils favorisent l’apprentissage et garantissent des boucles de réaction étroites. Les exigences liées au contrôle des multiples cibles, objectifs et indicateurs des ODD et de l’Agenda 2063 sont immenses, et dépassent souvent les ressources et capacités existantes des agences statistiques. Pour certains ODD, (notamment l’ODD 5 sur l’égalité des sexes) il existe souvent de grandes lacunes dans les données. Il est par conséquent essentiel de définir les domaines à suivre du point de vue quantitatif ou qualitatif. Les mécanismes de contrôle, de suivi et d’évaluation doivent être basés sur les différentes sources de connaissances, soit les connaissances scientifiques et le savoir traditionnel. L’une des opportunités revient à recueillir des données par les technologies mobiles. Les mécanismes d’examen par les pairs existants dans la région, tel que par exemple le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), doivent être soutenus car ils aident à favoriser la prise de responsabilités et l’intégration des politiques. Les organisations nationales de défense des droits de l’homme et leurs rapports nationaux peuvent jouer un rôle central dans l’examen des principes des droits de l’homme sur lesquels reposent les Agendas 2063 et 2030 et les VGGT.
  6. La recherche en matière de développement est centrale au succès de la mise en œuvre des Agendas 2063 et 2030. La mise en œuvre des Agendas 2063 et 2030 doit se baser sur les résultats de recherche les plus récents. Les programmes de recherche doivent être adaptés aux besoins des intervenants en matière de développement. Pour contribuer de manière efficace à cette mise en œuvre, les besoins de connaissances des représentants gouvernementaux, des organisations non-gouvernementales et des organisations de société civile doivent être le point de départ de la recherche.
  7. La coopération et la coordination entre les différents intervenants et les initiatives de restauration des sols sont essentielles. Les programmes et initiatives de restauration des sols sont nombreux au niveau régional et national. L’Initiative pour la restauration des forêts et paysages forestiers en Afrique (AFR100), la Grande Muraille Verte, l’Initiative sur la Soutenabilité, la Stabilité et la Sécurité en Afrique (3S) ou encore l’initiative pour l’Adaptation de l’Agriculture Africaine et pour des paysages africains résilients (ARLI) en sont des exemples proéminents. Associées à l’échange continu des expériences permettant l’apprentissage réciproque, la coopération et la coordination de ces initiatives sont des éléments clés pour parvenir à progresser au niveau national et local et pour promouvoir les synergies d’échelle et de secteurs dans la région.
  8. Un examen thématique global sur les terres et les sols peut jouer un rôle catalytique dans le soutien des initiatives de restauration du sol. Un examen thématique global des terres et des sols mené sous l’égide du forum politique de haut niveau offre l’opportunité de gérer les liens entre les objectifs et buts de développement durable lié aux terres et aux sols. Il aide à intégrer la dimension de responsabilité des pays développés et soutient les principes d’autonomisation, d’habilitation et d’inclusion de l’Agenda 2030. Étant donné que l’examen de la mise en œuvre intégrée et transversale de l’Agenda 2030 peut être décrit comme relevant du “terrain inconnu”, cet examen thématique global aura également pour effet d’approfondir les processus d’apprentissage nécessaires à sa mise en œuvre.

Inspirés par les discussions, nous espérons que les participants partageront largement les résultats de ce Congrès. La réunion prochaine du Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA) offre une excellente opportunité à cet égard. Maintenons ensemble cet élan collectif !

Nairobi, novembre 2016
 
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